Un crime dans un monde sans crime

Chalanne parla peu et commença à expliquer les termes de cet entretien. Il ne s’agissait pas tant de discuter ou d’échanger mais de passer à l’action. Chalanne serait le cerveau pensant, Finker les bras exécutants. Les ordres furent clairs, Finker se voyait déchargé de tous ses projets en cours – qu’il avait spontanément négligés par ailleurs – il passait sous l’autorité immédiate de Chalanne et sa première fonction, qui n’avait pas encore de titre, consisterait à comprendre les circonstances du « décès » de Zacharie Fez.

Profondément politique, Quentin Chalanne n’avait prononcé ni le mot « meurtre » ni le mot « assassinat », il avait pudiquement parlé d’un décès. Finker ne réalisait pas encore le bouleversement que son interlocuteur lui annonçait, il se contentait de le regarder et d’enregistrer dans sa mémoire ses moindres paroles. Et comme aucune n’était superflue, il les retint toutes très scrupuleusement. Après un instant, Chalanne, toujours aussi sombre, mit fin à l’entretien. Il se leva solennellement et raccompagna Finker jusqu’au bureau de sa secrétaire qui traiterait avec lui quelques aspects pratiques.

L’enfance de Daphné Lénoril

Aussi, et alors qu’elle parlait volontiers autour d’elle de l’obsolescence et de la vanité d’une existence éphémère, on la toisait, on la laissait divaguer, elle n’était qu’une petite fille, elle comprendrait quand elle serait grande. Mais Daphné Lénoril considérait chacun comme une chose, et si une chose devait émettre une information, c’était dans le spectre de cette chose qu’il fallait appréhender cette information. Rapidement, la jeune Daphné laissait naître en elle un sentiment nouveau, le mépris. Qui étaient ces êtres sans perspectives qui l’empêchaient de goûter sa propre ampleur ? Quelle était leur légitimité ? Et elle acheva ses questionnements d’une façon plus noire encore en se demandant quelle était leur utilité. Elle n’avait alors que neuf ans.

Près de deux années passèrent sans que Daphné Lénoril apportât de réponse satisfaisante à sa noire question. Or, le jour de son anniversaire, elle fut frappée par une réflexion qu’elle baptisa évidence ; le monde qui l’entourait était trop faible, trop pauvre et trop lent, il l’emprisonnait, il avait la volonté de justifier son état en la façonnant comme une autre des briques qui le constituaient. Daphné se surprit à vomir ce monde conservateur, ce monde où la médiocrité faisait loi. Elle n’était pas médiocre, elle, mais ambitieuse, idéaliste et intelligente. La médiocrité traite l’excellence comme un parasite, Daphné refusait de se laisser corrompre ou altérer. Elle changerait de monde, elle changerait le monde et le point de départ de ce dessein était une rupture.

Achille Mergot et Narcisse Claric

— Je suis affilié au Centre.
— À quoi ?
— Vous ne connaissez pas ?
— Non.
— C’est le Centre de Lutte contre les Discriminations liées à la Laideur et à la Vieillesse. Mais on dit simplement :
« le Centre ».
— Et que fait-il, ce Centre ?
— Comme son nom l’indique, il protège les personnes contre les injustices qui leur sont faites en raison de leur laideur ou de leur vieillesse.
[...]
— Laissez-le tomber votre Centre. Il me fait penser à une association de bronzeurs qui se réunissent en congrès contre la pluie. Vous n’y pouvez rien. Faites-vous une raison et passez à autre chose.